Pour commencer réellement, je
vous propose que nous explorions LA question qui se pose à tout professeur de
langues anciennes du secondaire, LA question qui cristallise un certain nombre d’oppositions
au sein de notre si belle communauté : « T’es plutôt langue ou plutôt
civi? ».
On peut se dire dans un premier temps que c’est un faux
débat, puisqu’en fait, les deux sont travaillés conjointement.
Ainsi, par exemple, lorsqu’on traduit un texte de Tite-Live sur les prodiges annonciateurs de désastres militaires, on peut faire un rappel sur la notion de présage et son importance dans la mentalité romaine. On peut à ce moment évoquer les termes de monstrum, omen, signum, les auspices et les haruspices.
De même, lorsqu’on travaille sur la place de la femme dans la société romaine, après avoir lu la page du manuel dédiée au mariage, on traduit ce court texte épigraphique : HIC SITA SUM MATRONA GENUS NOMENQUE VETURIA FORTUNATI CONJUX DE PATRE VETURIO NATA TER NOVENOS ET NUPTA BIS OCTO PER ANNOS UNICUBA UNIJUGA QUAE POST SEX PARTUS UNO SUPERSTITE OBII, que j’ai trouvé dans le très utile Rome collection texte et dossier (Gallimard), pour voir ce quelles sont les qualités mises en avant sur la tombe de cette pauvre Véturia.
Ainsi, par exemple, lorsqu’on traduit un texte de Tite-Live sur les prodiges annonciateurs de désastres militaires, on peut faire un rappel sur la notion de présage et son importance dans la mentalité romaine. On peut à ce moment évoquer les termes de monstrum, omen, signum, les auspices et les haruspices.
De même, lorsqu’on travaille sur la place de la femme dans la société romaine, après avoir lu la page du manuel dédiée au mariage, on traduit ce court texte épigraphique : HIC SITA SUM MATRONA GENUS NOMENQUE VETURIA FORTUNATI CONJUX DE PATRE VETURIO NATA TER NOVENOS ET NUPTA BIS OCTO PER ANNOS UNICUBA UNIJUGA QUAE POST SEX PARTUS UNO SUPERSTITE OBII, que j’ai trouvé dans le très utile Rome collection texte et dossier (Gallimard), pour voir ce quelles sont les qualités mises en avant sur la tombe de cette pauvre Véturia.
Pourtant, l’opposition
langue/civilisation cristallise souvent les tensions dans notre communauté.
Ceux qui privilégient la langue sont vus comme des profs rigides, qui suivent
des méthodes obsolètes, dépassées, qui tuent la motivation des élèves. Ceux qui
privilégient l’étude de la civilisation sont perçus comme des jean-foutre qui
courent derrière la modernité en sacrifiant en fait la spécificité de nos
disciplines.
Si l’on regarde bien les
positions des uns et des autres, il s’agit en fait d’une question d’approche.
Chacun est animé, je pense, par l’envie
de partager sa passion pour la langue ET la civilisation. Les uns gardent à
l’esprit que le latin et le grec sont des langues et qu’une progression bien
construite des apprentissages linguistiques permettra aux élèves de vite entrer
dans les textes et de connaître le plaisir d’y évoluer. Les autres pensent que
jeter les élèves si jeunes dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, pour
laquelle de solides bases grammaticales sont nécessaires, risque de les
dégoûter à tout jamais.
Cette opposition a pris de
l’ampleur avec la parution des programmes de 1997, qui consacraient l’abandon
de l’exercice de langue traditionnel qu’est le thème. Du coup, la maîtrise de
TOUTE la grammaire latine et/ou grecque n’est plus nécessaire. L’objectif
devient de rendre l’élève lecteur de textes, et, partant de là, de textes
authentiques, qui sont bien plus intéressants que la prose inventée d’un obscur
profaillon, fût-elle en latin ou en grec. Ainsi, on se coupe de la possibilité
de construire aisément une progression grammaticale. En conséquence, notre
premier groupe, celui des linguistes, rejette les programmes de 1997,
précisément parce que le dogme du texte authentique ne permet pas de construire
aisément une progression grammaticale efficace ; le second groupe, celui
des historiens, évolue avec plaisir dans
le cadre de ces programmes parce qu’ils permettent de se lancer tout de suite
dans les « grands » textes sans passer par la phase difficile de
l’apprentissage de la langue, et notamment par des exercices réguliers (et pas forcément séduisants au premier abord) d'entraînement.
Les conditions d’enseignement qui
sont les nôtres aujourd’hui nous permettent-elles de travailler la langue pour
elle-même, face à des élèves pour qui les catégories grammaticales que nous
évoquons dans nos cours sont obscures, face à des élèves qui choisissent une
option qu’ils peuvent, en théorie, arrêter du jour au lendemain ? Ne
doit-on pas entrer dans une certaine forme de séduction, en proposant un
contenu attractif, qui rayonne vers de nombreuses disciplines habituellement réservées au supérieur
(Archéologie, Numismatique, Epigraphie, voire Histoire des Arts) ?
Mais se jeter à corps perdu vers
ces entrées, pressés par les desiderata parentales, les incitations de l'institution, n’est-ce pas non plus perdre notre spécificité, à savoir la
connaissance de deux langues anciennes?
Comme beaucoup, ces questions me
travaillent. Les seuls points que je tiens pour certains sont les suivants :
·
Notre spécificité est la pratique d’une langue
ancienne. Si nous cessons de la pratiquer et de l’apprendre aux élèves, si nous
devons des sortes d’intervenants culturels spécialistes de l’Antiquité, nous
sommes perdus, parce que d’autres peuvent le faire à notre place, et tout aussi
efficacement.
·
Les objectifs des programmes, à savoir la traduction en autonomie d’un texte simple d’auteur ne sont pas atteignables sans une progression rigoureuse, qui serait
facilitée par l’utilisation de textes fabriqués et par des exercices réguliers
de mémorisation.
Trop souvent, le « T’es
plutôt langue ou plutôt civi ? » se transforme en « Tu fais de
la langue, toi ? ». Et cela me paraît dangereux…
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