L'arrêté
du 19 avril 2013 fixant les modalités d'organisation des concours du
certificat d'aptitude professionnelle du second degré acte la fusion
du CAPES de Lettres Modernes et du CAPES de Lettres Classiques. Dans le
cadre de l'alignement du nombre d'épreuves de tous les concours de
recrutement des professeurs du second degré, les écrits et les oraux
sont réduits en nombre, afin de parvenir à l'organisation de deux
épreuves écrites et deux oraux, contre trois lorsque j'ai passé ces
épreuves. Lors de son inscription à la préparation du concours, le futur
candidat aura le choix entre une option classique ou une option
moderne, qui détermineront le contenu des épreuves qu'il préparera et
auxquelles il se soumettra.
A mon sens, le premier problème se pose dès cet instant: si l'épreuve de
dissertation semble ne pas trop changer, mais simplement fusionnée,
l'obligation de ne proposer qu'une seule autre épreuve écrite a conduit à
créer une épreuve hybride comme second écrit. L'impératif étant de
vérifier les connaissances en langue, en histoire littéraire et en
histoire antique des candidats dans DEUX langues anciennes, l'étudiant
qui compose se retrouvera face à une hydre cognitive: une double version
commentée. A l'heure où le concept (tout à fait vérifiable
scientifiquement) de surcharge cognitive est mis en avant dans
l'enseignement, voir apparaître une telle épreuve, même si elle concerne
de jeunes adultes et non des enfants, et même s'il est important de
vérifier les connaissances dans les deux langues anciennes susceptibles
d'être enseignées dans le secondaire, voir apparaître une telle épreuve,
qui demande aussi une mise en jeu professionnelle des textes à
traduire, est assez savoureux, ou ironique c'est selon. A côté de cela,
le candidat d'option moderne aura une épreuve de grammaire comparée,
qui, si elle ne se fera pas les doigts dans le nez, reste cognitivement
plus reposante que l'épreuve des classiques.
Ensuite, pour ce qui est de l'oral, on peut déceler là encore une
dissymétrie en faveur des modernes. Chacun aura, cela s'entend, une
épreuve d'explication de texte de langue française assortie d'une
question de grammaire. Mais lorsque le classique ne composera que pour
une épreuve d'analyse de situation professionnelle en latin et grec,
avec, n'en doutons pas, un bout de traduction dans chaque langue, le
candidat moderne aura un éventail de choix bien plus varié et attractif
pour un étudiant: théâtre, cinéma ou latin pour le collège...
Le risque de cette dissymétrie, c'est de voir les étudiants bouder le parcours "Classique" et, à terme, le voir disparaître.
Le risque de cette dissymétrie, c'est de voir les étudiants bouder le parcours "Classique" et, à terme, le voir disparaître.
Certaines propositions de cet arrêté vont dans le bon sens, telles que l'officialisation de la question de grammaire française à l'oral, et la volonté de mettre en avant d'autres dimensions de l'enseignement des lettres (cinéma, théâtre...). Mais, si les protocoles de la seconde épreuve orale ne sont pas alignés, le choix des candidats se portera plus volontiers sur l'option moderne, parce que l'éventail d'options y est plus vaste. Pourquoi s'engager dans des études longues, difficiles, qui aboutissent à un concours corseté, alors que les études en lettres Modernes offrent davantage de diversité et un concours laissant un certain choix dans les épreuves (que les choses soient bien claires, il n'est pas du tout de mon propos de prétendre que des études de lettres modernes seraient plus faciles)?
Au passage, notons que l'institution fait en sorte de préserver le
latin, qui est aussi proposé aux modernes, mais que le grec reste aux
oubliettes.
Si on peut voir derrière cette modification des épreuves le vieux topos anticlassique,
elle répond surtout à un impératif au vu de la situation des LC dans le
supérieur. Les effectifs s'effondrent, les filières, du fait de la loi
LRU sur laquelle le gouvernement actuel ne revient pas, se ferment, et,
par conséquent, les postes au CAPES ne sont pas pourvus depuis deux ans
maintenant (Le CAPES LC 2011 a vu 77 candidats admis pour 185 postes
offerts, celui de 2012 75 admis pour 170 postes).
Il n'empêche que la lecture des réactions à cette nouvelle sur les réseaux sociaux laisse un drôle de goût. On y lit surtout les vieilles rengaines, le plus souvent défendues par ceux qui disent vouloir démocratiser l'enseignement. On reste sur l'analyse que les langues anciennes sont par essence élitistes, et on propose de les démocratiser ... en les supprimant. Or, le paradoxe étant que la demande sociale de cet enseignement n'a jamais été aussi forte, puisque 21,9% des élèves choisissent de suivre un enseignement optionnel de langues anciennes au collège. Certains avancent que le problème vient des méthodes d'enseignement du secondaire, qui seraient restées archaïques et monolithiques (tiens, deux mots grecs...). C'est faire peu de cas du volontarisme de nombreux enseignants, de l'action de la CNARELA et des modifications des pratiques d'enseignement (dont il faudrait, je pense, tirer un bilan clair et objectif). Bref, c'est faire preuve d'une certaine méconnaissance du dossier que d'avancer cela. De plus, le reproche d'élitisme se fonde aussi sur la manière de recruter les élèves. Les enseignants de LC maintiendraient eux-mêmes une certaine sélection dans leurs sections en choisissant les élèves au bulletin. A ma connaissance, c'est dans d'autres options dérivatives (bilangue et classes euro pour ne pas les nommer) que l'étude du dossier scolaire est monnaie courante... Et lorsque ces admonestations s'accompagnent de félicitations bruyantes, basées sur une vision passéiste qui se présente comme progressiste, le découragement peut parfois poindre.
Il n'empêche que la lecture des réactions à cette nouvelle sur les réseaux sociaux laisse un drôle de goût. On y lit surtout les vieilles rengaines, le plus souvent défendues par ceux qui disent vouloir démocratiser l'enseignement. On reste sur l'analyse que les langues anciennes sont par essence élitistes, et on propose de les démocratiser ... en les supprimant. Or, le paradoxe étant que la demande sociale de cet enseignement n'a jamais été aussi forte, puisque 21,9% des élèves choisissent de suivre un enseignement optionnel de langues anciennes au collège. Certains avancent que le problème vient des méthodes d'enseignement du secondaire, qui seraient restées archaïques et monolithiques (tiens, deux mots grecs...). C'est faire peu de cas du volontarisme de nombreux enseignants, de l'action de la CNARELA et des modifications des pratiques d'enseignement (dont il faudrait, je pense, tirer un bilan clair et objectif). Bref, c'est faire preuve d'une certaine méconnaissance du dossier que d'avancer cela. De plus, le reproche d'élitisme se fonde aussi sur la manière de recruter les élèves. Les enseignants de LC maintiendraient eux-mêmes une certaine sélection dans leurs sections en choisissant les élèves au bulletin. A ma connaissance, c'est dans d'autres options dérivatives (bilangue et classes euro pour ne pas les nommer) que l'étude du dossier scolaire est monnaie courante... Et lorsque ces admonestations s'accompagnent de félicitations bruyantes, basées sur une vision passéiste qui se présente comme progressiste, le découragement peut parfois poindre.
Pour finir, lorsqu'on cherche les causes de la désaffection de la
filière dans le supérieur, on ne peut laisser de côté l'explication de
la pédagogie appliquée dans le secondaire. Si l'on regarde les chiffres,
on peut voir que, sur le temps long, de l'optionnalisation à nos jours,
c'est lorsque la volonté d'enseigner la langue par le texte
authentique, ainsi que le renoncement à la grammaire de phrase dans
l'enseignement du français, se sont imposés que les effectifs ont
commencé à baisser (voir data.gouv et cette explication de M. Philippe Cibois).
La seconde référence que je vous propose établit que, toujours sur le
temps long, on assiste à une grande augmentation du nombre d'élèves qui
suivent l'option par rapport à l'époque à laquelle font constamment
référence les détracteurs de cet enseignement. C'est à partir du moment
où l'enseignement du latin n'a plus proposé de progression raisonnée et
facile de l'enseignement de langue, qui devrait avoir pour but de
faciliter la compréhension des textes, textes que nous devons toujours
étudier (la réunion récente de l'IG des lettres rappelle que
l'enseignement des langues anciennes se structure autour de la lecture
de textes) et qui visent à donner confiance à l'élève dans sa capacité à
comprendre la langue latine et la pratiquer, c'est à partir du moment
où les profs (et moi aussi) se sont mis à construire des séquences en
mettant à la traîne la progression linguistique, ou en utilisant le
texte comme "support", que les effectifs ont baissé. En effet, le but de
l'apprentissage progressif et raisonné de la langue n'est pas de
répéter des déclinaisons, mais de faire que l'élève puisse accéder seul
au texte, de faire qu'il découvre ces liens entre passé et présent,
entre mondes antiques et monde moderne, par lui-même, et non pas plongé
dans une fausse liberté, dans un bac à sable qui serait la grille de
lecture de l'enseignant. Le pari de ne travailler que le texte
authentique (de quel texte authentique parle-t'on?) s'est retourné
contre les langues anciennes, il faut avoir la lucidité de constater
cet échec et d'en tirer des enseignements pour avancer.
Ce changement doit être aussi l'occasion de revoir la formation initiale des professeurs de lettres. L'ancienne, stérile et si dommageable partition entre classiques et modernes n'ayant plus cours, c'est le moment de redonner à tous les professeurs de lettres une solide formation en latin, afin de permettre à n'importe quel futur enseignant de lettres de pouvoir proposer, au moins au collège (mais aussi au lycée) des cours de qualité à ses élèves en langues anciennes.
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